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Au-delà des tourments ; une rémission.

Jane Tergiev

 

Faite de traits autant que de couleurs, faite de douleur autant que de douceur, faite d'ambiguïtés qui pourtant s'effacent toutes à mesure qu'on entre "en peinture", l'oeuvre est empreinte d'une forme de tourment qui ne cesse de sauver celui qui la crée autant que l'être : ce qu'il peint et nous.

Et cela même dans les oeuvres les plus violentes ; en cela, il n'est que celle de l'amour pour ce qui est désiré par l'artiste, pour la représentation de ce vers quoi il porte tous ses efforts ; douloureux pour lui mais qui y pense?

La violence de corps tordus ou de bouches ouvertes, larges noires n'existe pas ; il n'y a que l'attirance pour ce que fait l'homme et ce qu'il défait, l'attirance vers cette beauté qu'il construit et détruit presque aussitôt après : cet effroi vertigineux. Qui ne cesse jamais ou alors...

La crispation de chairs, l'éclatement des muscles, la dislocation des os ne sont que des oppressions volontaires que l'homme commet à l'encontre de l'homme.

Aussi faut-il rétablir la vérité ; parvenir telle une main attentive à être le plus près possible de cette peau brûlée par la torture. Avec les couleurs et les formes atrocement réelles du désespoir, apporter toute sa tendresse, plus même : son engagement.

Et il n'est pas possible de ne pas voir combien le peintre dit à ses chairs blessées qu'il les aime et qu'elles sont belles autant qu'un parfait et serein portrait d'enfant.

Peindre la douleur c'est la pénétrer pour tenter de la guérir. On peut croire qu'il y a là l'espoir secret que cesse toute souffrance au bout de cette quête.

Encore faut-il être sincère.

Et comment pourrait-il ne pas l'être quand il s'élance en arrière retournant aux prémices de sa propre existence ou de chacunes des nôtres pour chercher là, dans les premiers instants de nos vies, ce qui là, à ce moment-là, pas un autre, est important, compte pour l'enfant qui vient. Et marque pour toujours.

Quelle lente exploration pour un corps qui n'est pas de son sexe et qui expulse hors de lui un corps qui n'est pas lui non plus.

Et il est possible de croire que ces accouchements sont autant d'avortements en ce sens qu'ils montrent parfaitement quelle blessure mortelle nous recevons à la naissance et qu'il va falloir panser, soulager jusqu'à l'autre bout : cette autre naissance, la mort. Il s'agit là encore de comprendre que la douleur, celle vécue, "réfléchie" n'est pas tarée.

Les cris de l'accouchement, ses contractions comme les larmes de l'avortement, ne sont pas dénaturés mais parfaitement, naturellement humains.

Inhérents à nous- mêmes et pour cela méritant une grande tendresse, un vrai respect.

Il y a comme chez Sankai Juku, la même volonté de désir de vie ; d'accomplissement dans un espace souvent occulte à nos pensées. Il y a cette vie qui se "monte" devant nous et qui au-delà de cette traversée convulsive et sensible de cette sorte d'enfer: celui que nous créons et celui créé pour nous, va se porter à la sublimation de toutes les étreintes des corps et de leurs êtres dans une peinture qui ondoie à travers ce monde de ténèbres et une vision d'une forte sensualité.

Déhanchée, nue, voluptueuse comme dans une danse étrange et lointaine que le peintre crée et que lui seul entend puisqu'il orchestre tout, à l'exception de notre regard ; extérieur, il est vrai.

Et quand la peur et la beauté se rejoignent enfin, que toutes les ambiguïtés hérissées au départ ont sombré, alors, il reste des corps, des visages où la concorde semble liée au parcours initiatique de la main qui leur prête existence.

L'atmosphère qui nous empare est celle de la complicité. Complicité entre les nus, leurs attitudes et notre regard.

Cette connivence est naturelle, sans aucune tromperie ou gêne.

Et ces corps devenus heureux, témoins présents de celui qui les a voulu, cherché (longtemps quelquefois), emplissent l'espace et le temps.

Répondant ainsi à une dimension qui est celle de n'avoir ni âge ni marque.

Réels autant qu'on les a souhaités parfaits, ils sont alors tout simplement vrais.

Il n'y a plus de luttes, juste l'évidence qui leur offre cette largeur, cette longueur noble et tranquille semblables à celles des fresques de Pompéi.

Et partout revient alors que cette oeuvre est autant une mémoire en devenir qu'une participation forte de l'imaginaire : une création.

 
 
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