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Entre mer et marais

Texte traduit en espagnol : Entre mar i salina

Elodie Enard

 

Lorsque l'on se promène à Formentera, du côté de la Savina, puis le long des Salinas, jusqu'à LLevant et la mer, une impression particulière se dégage, découvrant deux "univers" si proches, faits de la même substance, et néanmoins si différents. Pourtant si peu palpable de prime abord, cette opposition vient peu à peu à l'esprit, et à bien y réfléchir, finit par être frappante.

Cette réflexion a donné naissance à l'installation "Entre mer et marais" qui met en scène cette idée, révélant tout d'abord l'opposition la plus marquante entre ces deux systèmes : celle du mouvement. Le mouvement de la mer est symbolisé ici par la forme donnée aux supports des visuels, accompagnés de la référence à la plage de sable et aux corps plongés dans l'eau. Ce mouvement inéluctable, infini, fait face au calme plat, à l'absence - a priori - de mouvement dans les marais. L'eau nourrissante qui pénètre, qui circule dans les canaux, comme prise au piège ; le lien est établi par le regard du spectateur qui participe, malgré lui à recomposer le système.

Associée au mouvement, la bande son met en scène l'opposition des environnements sonores : ici, le chant des vagues, la mer en mouvement, et là, la mélodie du piano, une voix intérieure évoquant l'apaisement, le "silence" des marais.

 

En poursuivant ces méditations poétiques, et dans la continuité de ces impressions, "Light" a vu le jour : comme une aile légère et lumineuse dont on a capturé le reflet. La suspension, ce quelque chose entre l'espace - immense - et le sol, se trouvant dans l'incertitude, mais quand même rattaché, d'une certaine manière, puisque suspendu ; cette suspension nous renvoie à la fragilité de l'existence, d'une situation, d'un contexte. Fragilité intrinsèque : le fil est comme le cordon intime d'un organisme, d'un être, d'un écosystème, menaçant de céder à chaque instant et donc de modifier le Tout. La présence du miroir n'est pas sans rappeler les images créées par les surfaces miroitantes des marais, reflétant ainsi les paysages alentours, jusqu'au ciel, imprimant temporairement l'espace proche dans leurs entrailles humides.

l"Light" est une évocation de ces lieux uniques où la quiétude et l'harmonie y régnant nous ramènent, à leur contact, à l'essentiel ; permettant à l'esprit de se libérer, de divaguer, et au regard de déambuler le long des canaux et des murets. Cette mise en lumière évoque la conscience de la "légèreté" de leur condition : bonheur fragile qui ne tient qu'à un fil.

 

Changeons de cadre, et intéressons-nous à deux autres installations présentées également à l'occasion de cette exposition. La mémoire et l'écoulement du temps sont des thèmes centraux dans l'oeuvre de Bruno Breitwieser. Synthèse du travail mené avec l'arbre, "La première colonne".

L'arbre est comme un témoin du temps qui passe ; il porte les stigmates et les traces de l'écoulement "temporel" au sein même de sa chair. Cette fois, Bruno Breitwieser a choisi d'y associer un élément singulier et proche par la forme, la colonne. La colonne est un élément essentiel de l'architecture. Elle est support : elle symbolise la solidité d'une construction, à l'instar d'une colonne vertrébrale. L'ébranler, c'est menacer l'édifice tout entier. La colonne est désignée parfois comme "arbre de vie" : la base marquant l'enracinement, le fût pour le tronc, le chapiteau pour le feuillage. La colonne canalise les thématiques d'enracinement et de suspension : le parallèle est ainsi établi avec l'arbre.

Dans cette installation, ce qui frappe en premier, c'est le choix de présenter cet élément massif, à priori insondable, dans une transparence. Perçant les secrets intimes, on plonge au plus profond, dans les "entrailles" de cet acte architectural. Ainsi, les images mises en lumière au sein de la colonne en révèlent l'aspect organique, dévoilant la structure interne...de l'arbre : ce que l'on ne peut voir à l'oeil nu.

A chaque "étage", un élément, une couche est représentée. Ancrée dans le passé via le miroir, comme enracinée, c'est par la base que se reflète la mémoire du vécu. Le fût, au niveau du "tronc", dévoile la structure intime du corps. A la cime, le chapiteau est suspendu, comme pour rappeler l'aspect, le caractère aérien du feuillage. La projection de cette image, de ce scanner, comme un hologramme, représente l'image intemporelle, un point de fuite tourné vers un futur à inventer. Ici, le son nous chuchote, comme un monologue intérieur, ce qui constitue l'ensemble : elle le reforme en énumérant chaque élément constitutif de l'être , ici l'arbre.

 

Enfin, le visiteur est invité à découvrir « Le baiser ». Une installation qui, quant à elle, lance une invitation à se retrouver. En effet, dans la mise en mouvement et en lumière, il n’est pas seulement question de l’amour de soi, mais bien plus profondément et sincèrement de quête de soi. Cette suggestion plastique du baiser peut nous évoquer le symbole de l’amour partagé entre deux êtres qui tentent de faire corps. Mais elle peut également nous plonger dans un autre questionnement : la bouche, en permanence dévoilée, est pourtant à l’origine de fantasmes et de désirs.

 

 
 
 
 
 

 

 
 
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